Le temps à rebrousse-poil (l’ab-sens de sens) - Fayçal Baghriche, Claire Dantzer, Zack Dougherty, Laurent Fiévet, Pascal Grandmaison, Jean-Gabriel Périot



Que font toutes ces images qui prennent le temps à rebrousse-poil, mur démoli qui se redresse, ou plongeurs s’élevant dans les airs jusqu’à leurs plongeoirs ? Le temps sorti hors de ses gonds se moque tout à coup de la différence entre l’endroit et l’envers. Le temps inverse est ici lui-même sa propre cause. Il ne faut pas en parler, il faut voir et rester dans le voir, là où la perception est devenue incessant mélange, puissance indéfinissable, évanouissement de l’ordre du temps et du langage.

Si là explose souvent un contre-temps prodigieux (orphisme, lutte contre la mort et l’ordre, retour dans le passé, rajeunissement…), notre attention se porte ici sur les images qui brillent par une ab-sens de sens. C’est un dur mystère auquel on se confronte. Comme le remarquait Anne Souriau : «  un film passé à l’envers donne l’impression d’une action étrange, nouvelle, mais successive, et pas du tout l’impression d’une série de renseignements rétrospectifs.  »1 
D’innombrables contre-mouvements inédits et absurdes, précis et obscurs grondent sous nos yeux avec leur évidence opaque, leur énigme, leur fantaisie, leur irrégularité nécessaire. 
Dans les images sans cause, les inversions temporelles sont sans justification, sans alibi, sans significations. Nous pouvons allons dériver, errer, suivre l’invention sinueuse d’autres temporalités, sans binarité.

 

La fresque Undo de Jean-Gabriel Périot est un portrait de l’histoire de l’humanité entière, par la lecture à rebours d’archives, d’actualités, d’extraits de films documentaires ou fictionnels. La régression du temps (de la fin du monde au bing bang initial, en passant par de grands événements historiques comme l’attaque des twins towers) se double d’une régression technologique où l’on passe d’images récentes en vidéo couleur, à des images plus anciennes, plus détériorées, en pellicule cinéma, couleur, puis noir et blanc.
L’inversion temporelle est alors le grain de sable qui démonte les clichés, qui subvertit chacun de ces moments de l’histoire de l’humanité pour les soustraire à notre fascination. Undo participe de l’humanisme progressiste, celui qui « doit toujours penser à inverser les termes de cette très vieille imposture, à décaper sans cesse la nature, ses “lois” et ses “limites“ pour y découvrir l’Histoire et poser enfin la Nature comme elle-même historique. » (1) Un monde esthétisé, déshumanisé, dépolitisé, voire post politique, semble se déployer sous nos yeux, mais l’inversion temporelle en fait l’image de la décroissance comme contre-proposition à la surenchère consumériste capitaliste. 
L’imaginaire de cette immense régression critique de l’histoire domine, en aliénant la perception. C’est un geste simple et fort. Psychanalytiquement, il a aussi une vertu : il touche ce fantasme qui consiste à voir ce qu’il y avait avant nous, l’origine de l’humanité ; et derrière ce fantasme, il y a le désir de voir la copulation parentale dont nous sommes issus.

 

1 Roland Barthes, « La grande famille des hommes », Mythologies, Seuil, 1957.

 

Pierre-Emmanuel Odin
2014
http://la-compagnie.org/spip.php?article492